Lors d'une séance de yoga, nous nous posons dans notre respiration et nous entrons dans le temps long qu'elle nous offre.
C'est elle qui donne le tempo de l'entrée, de la sortie dans la posture et qui agit dans l'apparente immobilité de celle-ci.
Cette lenteur développe la sensibilité aux sensations corporelles, la présence à soi et l'attention à tout ce qui traverse le champ de l'expérience posturale.
Le corps respirant devient bouquet de sensations physiques: sensation des appuis, chaleur, allongement, relâchement, déploiement de côtes, ouverture,...
L'attention met aussi en lumière le vécu intérieur, ce qui émerge de "l'espace du dedans", les pensées et les émotions qui expriment la façon dont nous goûtons intérieurement l'expérience.
Plaisantes, étonnantes, parfois dérangeantes : dans une même séance, un sentiment de découragement peut suivre une posture vécue comme difficile tout comme une grande satisfaction peut survenir après la tenue d'une posture d'équilibre, par exemple, ou une résistance mentale surgir à l'annonce d'une posture que nous n'apprécions guère.
Ainsi, l'expérience sur le tapis éclaire le jeu incroyablement rapide de nos pensées, le changement constant de nos émotions, et notre fonctionnement face aux propositions qui nous sont faites.
Dès que nous commençons à aller plus lentement, un espace s'immisce en nous, dans nos gestes, dans nos pensées.
On repère la moindre crispation, et nous est donné l'opportunité de la défaire par un mouvement, un soupir, un lâcher-prise.
Dans le sillage de lenteur, apparait alors la détente, bienvenue et ressourçante.
C'est la suggestion d'installer une nouvelle façon de vivre la posture et, peut-être, de l'ensemencer au-delà du tapis, dans la vie quotidienne...
L'opportunité de s'engager dans un mode de fonctionnement plus conscient de ce qui nous anime dans notre interaction au monde, plus détendu, plus approprié, plus serein.
"Dirige ton regard vers l'intérieur et tu trouveras des milliers de régions encore inexplorées. Découvre-les et deviens expert en cosmographie personnelle." Henri David Thoreau
Ainsi est définie la posture dans le IIème chapitre des Yoga Sutra de Patanjali, le traité de référence du yoga.
Comment concilier ces deux qualités dans le contexte de la posture qui codifie la position du corps dans l'espace ?
Comment être fermement établi dans ses appuis, respecter les directions et les intentions de la posture ?
Force et volontarisme ne sont pas de mise comme dans une discipline sportive dont le but est une progression physique à visée compétitive.
De même, le relâchement total non plus qui est de l'ordre de la relaxation.
Aussi s'agit-il d'être dans l'écoute du corps pour en repérer les nœuds et les facilités, les crispations et les libertés, les espaces ouverts et ceux qui demeurent inexpressifs.
Lâcher l'idée de performance, de soumission du corps à la volonté, dire pleinement oui à notre état d'être du moment et ajuster la posture à ses possibilités du moment, la rendre juste en utilisant des supports, en fléchissant un membre par exemple, voici la douceur : lâcher-prise et acceptation.
"Il faut que le corps soit à l'aise pour que l'âme s'y plaise" disait Saint Vincent de Paul.
La fermeté est autant présence dans ses appuis, conscience de la disposition du corps dans l'espace, immobilité physique que stabilité et immobilité mentale.
Bienheureux état d'équilibre, d'unité...
Alors le corps devient écrin pour le souffle.
"Dans le tourbillon de la vie" comme l'a si joliment chanté Jeanne Moreau, la posture pourrait elle être une situation dans laquelle nous sommes fermes sur nos exigences fondamentales, nos besoins, et délicats dans l'expression de ceux-ci ?
Un exercice du quotidien qui rejoint l'expérience sur le tapis...
Un article de Claude Maréchal à propos du yoga de Désikachar:
"Le terme "viniyoga" appartient au yoga classique. On le retrouve en effet au sixième aphorisme du troisième livre des Yoga-Sutra: "tasya bhumishu viniyoga" : l'application-viniyoga- de cela-tasya- en fonction des niveaux-bhumishu-.
Dans les premiers aphorismes de ce livre , Patanjali introduit les notions de concentration-dharana-, de méditation-dhyana-, d'intégration-samadhi- et de démarche-samyama- les reliant.
Samyama consiste à choisir un objet de méditation, à fixer intensément son attention sur celui-ci et à s'exercer avec régularité. Un esprit de recherche et de lâcher-prise caractérise la démarche.
L'exercice du samyama produit une grande clarté en relation à l'objet choisi. Le temps aidant, l'objet de méditation est de mieux en mieux intégré.
C'est à la suite de cet enseignement que vient l'aphorisme sur le viniyoga, pour préciser que l'objet de méditation doit se faire avec un grand soin. Le mot "cela"-tasya- indique ici la démarche. Au moment de choisir une direction pour la pratique, il importe de réfléchir et de tenir compte des "niveaux" c'est-à-dire d'un certain nombre de paramètres. C'est ce que signifie "bhumishu".
Vers les années 1980, le professeur T. Krishnamacharya précisait la notion de viniyoga en la reliant à la pratique des asanas-postures- et du pranayama-travail du souffle-. Il voulait, à ce moment de l'histoire de son enseignement, insister sur l'importance d'une juste application des techniques psychosomatiques du yoga à chacun, en tenant compte d'un certain nombre de considérations individuelles. On lui doit la formule devenue célèbre: "Ce n'est pas la personne qui doit s'adapter au yoga mais le yoga qui doit être soigneusement ajusté à la personne".
Quelques années plus tard, en 1983, naissait la revue Viniyoga et, presqu'aussitôt après, les mouvements d'enseignants inspirés par ce terme, tout cela à l'instigation de TKV Désikachar, fils et disciple de Krishnamacharya.
Il était en effet de première importance de s'assurer d'un ajustement adéquat du yoga aux adeptes occidentaux, si différents des Indiens, physiquement, culturellement et à bien d'autres égards. Cette idée de prendre en considération, avec beaucoup de soin, toute une série d'éléments avant de donner un enseignement est donc essentielle pour la transmission du yoga en Occident.
Le viniyoga donne une direction: pour que la discipline porte tous ses fruits, il est indispensable de choisir les techniques appropriées, ce qui implique une attention sans cesse renouvelée.
Sur un plan pratique, le viniyoga consiste donc à respecter la personne: âge, sexe, santé, constitution, profession, culture, résidence, habitudes de vie, aspirations, aptitudes, croyances...
Le yoga a commencé à se développer chez nous dans les années 1970. D'emblée il y eut un intérêt pour cette vision du monde venue de l'Orient. Bien des choses se sont passées depuis. Maintenant, le moment est venu pour les Occidentaux qui ont étudié et assimilé le yoga de le transmettre de façon correcte et autonome.
C'est, selon nous ce que viniyoga signifie le mieux aujourd'hui."